Marie-Laure ( Fille d'un malade)

                                             Témoignage de Marie-Laure

 Bonjour ! Je m'appelle Marie-laure, je vais avoir 30 ans, je témoigne aujourd'hui en tant que fille de malade alcoolique . Je vais tenter de vous faire voir au travers de mes yeux ce que l'alcool peut faire
 
Je suis née dans l'alcool, mon père buvait déjà,alors pour moi rien de plus normal,çà faisait partie de ma vie. Malgré tout je ne sais trop pourquoi, je savais déjà toute petite que ce n'était pas bien .
Je visais au travers des disputes , violentes pour certaines, des coups partagés entre parents, des beuveries à la maison et ailleurs . Je ressentais l'impuissance de ma mère face à cet alcool, puis l'éloignement des proches, les remarques, les critiques, les regards blessants...Mais dans mes yeux de petite fille,toujours pareil, c'était ma vie, c'était comme çà, c'était normal .
Et puis j'ai grandi, je comprenais de plus en plus le mal que l'alcool faisait à notre famille, le mal que çà me faisait à moi, le mal que mon père me faisait .Et puis sont venus les premiers sentiments de peur et d'angoisse, j'avais réalisé le danger dans tous les sens du terme, il fallait que je vienne en aide à mon père .
Mon moyen de l'aider me semble très irréaliste aujourd'hui, mais quand on a 8 ans, rien n'est impossible .Je m'étais donc auto-déclarée « garde du corps » de papa. Une seule devise : « si je suis avec lui, il ne peut rien lui arriver ». Et c'est ainsi qu'à la grande peur de ma mère, je suivais mon père partout, les bars, les copains, les kermesses...partout . A 10 ans, j'aurais pu tenir un bar, je connaissais quasiment tous les alcools et leurs prix .
 Drôles de souvenirs d'enfance, j'en conviens, mais c'était ma vie .
Puis l'adolescence ,les premières sorties le samedi après-midi, 14-18h , très important à 13-14 ans, mais moi j'avais plus de chance, çà pouvait durer jusqu'à minuit . Super me dirait un gamin de cet âge, mais pour moi ce n'était pas si cool, car si mes sorties duraient si tard c'est tout simplement parce que mon père m'oubliait sur le parking de ce fameux « Intermarché »où il devait me récupérer.
 Quand il arrivait enfin, après une longue journée bien arrosée, il tentait de me dire comme il pouvait de monter, qu'il avait été retenu et que ma mère nous attendait .Il retournait même la situation parfois et râlait parce qu'il était grand temps que je rentre .
 D'autres anecdotes me viennent, comme après avoir passé une grande partie de la journée à l'attendre dans un bar où il avait descendu plusieurs chopines de rosé avec les copains et dont aucun d'entre eux n'étaient plus capables de dire « pain-beurre » . Il m'oublia et repartit tranquillement en me laissant là . Imaginez ma trouille quand je suis sortie des toilettes . Il est rentré et a demandé à ma mère où j'étais! Il lui a dit qu'il ne m'avait pas trouvée .C'est le patron du bar qui m'a raccompagnée et heureusement parce que c'est moi qui allait me faire disputer par ma mère ...le comble !
Je pourrais vous en faire un livre,aujourd'hui j'en plaisante ,avant j'en pleurais .
A 15ans ,l'horreur ! Je faisais bonne figure ,mais j'étais déjà détruite . J'étais en marge des autres , plus mûre ,moins naïve,presque déjà blasée de la vie alors qu'elle commençait normalement .A ce moment,j'aurais pu mal tourner,dériver ,en vouloir à mon père ,me rebeller.Mais jamais ,non jamais je n'aurais tourner le dos à mon père ,jamais je n'ai eu honte de ce qu'il était. Il est l'homme de ma vie, le premier . Une telle fusion nous liait que même à distance,je savais qu'il était mal, je savais qu'il avait des problèmes .A tel point que lors de sa première cure qui lui avait été imposée pour pouvoir retrouver un emploi , je l'avais pressentie à l'école . En rentrant,je l'ai dit à ma mère et quelques heures après boom:licencié pour avoir bu sur le chantier .
 Et puis la catastrophe pour moi ,lors de l'entrée à l'hôpital,un dernier bisou ,un dernier regard, la porte qui claque et le bruit de cette clé associé à cette phrase : « pas de contact de toutes sortes pendant deux semaines » .
 Alors comment moi son « garde corps »,j'allais faire sans ce papa que j'aime tant . Ce jour-là,j'ai compris que moi aussi ,à ma façon j'étais dépendante et pour la première fois je ressentais le manque …
 Première prise de conscience ,il n'y a pas que papa qui est malade ,moi,aussi dans mon cœur ..
 Puis la rechute ,l'abstinence ,la rechute l'abstinence !... Et toujours de façon inexpliquée ,je pouvais dater à 15 jours près ,le retour de la bouteille .
 Je n'en ai jamais voulu à mon père et malheur à qui pouvait en dire du mal . On ne touche pas à mon père !
 Avec le temps ,j'avais intégré que c'était une maladie et que papa n'y pouvait rien .Au fond ,c'était lui le plus malheureux . Il se détruisait et détruisait tout autour de lui sans rien pouvoir contrôler même son propre corps . Saloperie de maladie quand tu nous tiens !!!
Alors j'ai toujours été là ,en soutien ,comme une béquille .
Aujourd'hui,je suis mariée et je suis maman. Ma fille de six ans regarde son papi comme je regardais mon père au même âge ,comme une sorte de dieu qui a toujours raison .
 De cette vie que je ne renierai jamais ,de cette souffrance ,j'ai retiré du positif . Je suis plus humaine,plus ouverte ,plus compréhensive et surtout j'ai soif moi aussi ,mais pas d'alcool,de vie de rire et de moments heureux que l'on construit aujourd'hui ,mes plus beaux souvenirs sont très récents .
 Papa lui ,aujourd'hui est abstinent et maman est toujours là et moi aussi . Une véritable équipe à laquelle sont venus se greffer mon mari et ma fille . Je regarde mon père et je l'admire ,je le respecte ,il est fort mon papa ,il se bat tous les jours pour ne pas se faire rattraper par ses démons. A présent nous avons repris nos places ,c'est lui mon mon garde corps .
 Je ne lui en veux pas et cela m'a aidé à avancer . Il sera toujours le premier homme de ma vie .
J'espère que mes yeux ont été assez clairs pour vous et que ce que vous y avez vu , c'est beaucoup de tolérance et beaucoup d'amour d'une fille à son père .